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Sep

Régulièrement, le CIED vous propose d’aller à la rencontre des associations sur le territoire du Puy-de-Dôme afin de découvrir ceux qui font vivre l’Europe. Aujourd’hui nous vous présentons Christine Bertrand, Maître de conférence en droit public et spécialiste en droit de l’UE ainsi que Doyenne de l’école de Droit

 

L’école de droit organise et participe régulièrement à des événements sur les questions européennes, pourquoi cet engagement ?

Il y a plusieurs motifs à cet engagement:

  • Je suis une spécialiste du droit de l’UE, j’enseigne le droit de l’UE aux L3 ET M1 et je suis convaincue que l’attractivité de l’UE passe par la connaissance de ses fonctions et de ses missions. Quand on est juriste et spécialiste du droit de l’UE c’est assez naturel de vouloir parler de l’UE et de transmettre le contenu des actions et l’importance de la construction européenne.

  • L’école de droit héberge le centre de documentation européenne, situé à la bibliothèque de droit économie-management, une bibliothèque ouverte à tous et pas seulement aux étudiants, dans lequel un espace est dédié à la documentation européenne.

  • Nous organisons de très nombreux colloques et conférences en relation avec l’UE, nous hébergeons aussi les manifestations à caractère européen et notamment organisé par le Mouvement Européen, les Jeunes européens, la FedEA. En tant que doyenne, je veux une université qui soit au maximum ouverte sur la cité où l’on peut accueillir des gens au-delà de notre périmètre d’action.

 

En tant que doyenne de l’école de droit, pouvez-vous nous parler de l’importance de la compréhension du droit européen pour les étudiants et les citoyens ?

La citoyenneté européenne est largement méconnue, il y a beaucoup de citoyens qui se sentent citoyens de leur propre état mais qui ignorent qui sont citoyens européens. C’est un vrai défi pour l’UE à faire connaître cette citoyenneté. Si elle n’est pas connue, c’est peut être aussi parce que les droits du citoyen européens sont mal identifiés. Par exemple, quand j’enseigne la citoyenneté européenne en troisième année à mes étudiants, je me rends compte que même ces étudiants là n’ont pas de connaissances antérieures très précises de ce qu’est la citoyenneté européenne. Il y a donc un vrai enjeu là. Il serait nécessaire d’apprendre cela avant le BAC. Je ne veux pas trop être caricaturale car on en parle dans certains programmes de lycées, néanmoins, ce n’est pas suffisant.

En tant qu’enseignante du droit européen, on tombe parfois dans un écueil qui est de donner une vision strictement positive de l’UE, même si elle pas fausse ( UE qui ramène la paix, qui permet la circulation des biens et personnes), et comme on est dans une période de scepticisme le fait de nier les limites et insuffisances appauvrit le discours. Il faudrait faire une autocritique, cela mettrait plus en valeur les aspects positifs qui sont nombreux.

On dit parfois que l’Europe impose 80% des lois françaises, s’agit-il d’une réalité ?

Il y a eu des études là-dessus de façon très précise qui ont comptabilisé le nombre de normes qui sont issues de l’UE, en effet, la Commission l’évalue à 20% pour la France. Il y a cependant une ambiguïté car si on entend « loi » comme « texte voté par le Parlement européen », le chiffre est inévitablement plus bas que si on englobe l’ensemble de la réglementation ( lois, décrets, arrêtés etc…).

Le chiffre est par conséquent exagéré, en fait, les gens qui vendent ce chiffre de façon négative le font pour faire passer un message, qui est que cette législation n’est pas favorable pour le pays, en effet, si elle était bonne, on ne se poserait pas ce genre de questions. A mon sens, ce n’est pas la bonne façon d’aborder le problème, car le problème n’est pas quantitatif mais qualitatif et c’est ça la vraie question: est-ce que les normes européennes nous protègent ? C’est cette question qui est intéressante et pas tellement le nombre, me semble-t-il.

Selon vous, l’Europe est-elle compatible avec l’intérêt des territoires ?

Non seulement elle est compatible, mais en plus l’une des actions de l’UE qui n’est malheureusement pas très connu, c’est qu’elle a protégé un certain nombre de territoires. La politique régionale de l’UE ( c’est l’une des deux politiques principales budgétaires) et quant à la PAC ( qui est sans doute critiquable) y a des territoires qui seraient désertifiés s’il n’y avaient pas eu des agriculteurs aidés par l’UE.

Les citoyens méconnaissent ce que l’UE apporte sur le territoire, c’est pour cela par exemple qu’il y a des promenades dans la ville pour montrer à ces citoyens l’impact de l’UE sur leur territoire. C’est par conséquent un moyen sur lequel on peut agir. Ce qui est plus compliqué, c’est le fait que l’UE est très réglementée, elle produit des normes, or les normes sont abstraites c’est le principe même d’une norme, elle s’applique à un certain nombre de personnes.

Comment faire progresser 28 pays en même temps sans faire des normes ? Les normes sont indispensables, le principe même de l’UE c’est de faire les choses ensemble et pour se faire, il faut écrire des normes. Alors certes le droit est abstrait, mais le droit européen n’est pas plus abstrait que le droit français. Les juristes font des textes pour répondre aux problèmes. Il y a même des juristes qui essaient de simplifier, c’est aussi une volonté de la Commission de décider moins et mieux, ainsi des juristes s’efforcent de supprimer des normes inutiles qui peuvent d’ailleurs être signalées à la Commission par les citoyens eux mêmes.

La politique étant une affaire de tous, selon-vous, comment encourager les citoyens à participer au débat politique ?

Les élections européennes devraient être le moment où l’on s’approprie le moment européen. En France, le débat européen est pollué par les questions nationales qui ne sont pas traitées par l’UE. Cela rend donc difficile l’appropriation. Les élections devraient être le temps fort, ça ne l’est pas vraiment mais ce n’est complètement perdu cela demande juste une autre manière de s’approprier ces questions là . Ensuite il peut y avoir des moments exceptionnels, on a vu ça au moment du projet de traité constitutionnel de façon très net, et ce sont des moments où il faut être capable de recréer au moment de l’adoption d’un nouveau traité où là on se rend compte que les citoyens européens, quand on leur parle de choses européennes ça les intéresse. J’ai fait un tas de réunion publique y compris dans les villages au moment du projet du traité constitutionnel, des gens venaient avec le projet surligné, ils l’avaient lu, ils posaient des questions. Ce ne sont pas des sujets qui n’intéressent pas, c’est pas vrai. Il y a donc peut-être des temps de débats à créer, peut être au moment des élections et dans lequel on peut arriver à faire venir d’autres personnes que les européens convaincus.

Aussi, je crois aux initiatives citoyennes, alors c’est encore un peu émergeant, mal connu, mais pour moi c’est vraiment un instrument qui petit à petit sera un outil pour la démocratie. Il y a là un vrai enjeu pour la Commission européenne, savoir ce qu’elle est prête à faire ou ne pas faire avec ces initiatives, et si ces dernières se développent c’est une porte d’entrée pour les citoyens, car les citoyens se diront qu’ils servent à quelque chose et que l’UE sert à quelque chose et ça a le mérite d’être développé et encouragé.